Obama la force tranquille contre Clinton l'offensive nerveuse
Après les lourdes tensions entre les deux candidats démocrates durant le week-end et jusqu'à la veille du débat de mardi soir à Cleveland (Ohio), Barack Obama a abordé le duel télévisé avec deux bonnes nouvelles tombées le même jour: des sondages favorables (légère avance pour la primaire du Texas, resserrement en Ohio et par ailleurs le mieux à même de battre John McCain en novembre) et le soutien du sénateur Chris Dodd, ancien candidat à l'investiture démocrate pour la présidentielle américaine. Hillary Clinton, qui a plusieurs fois attaqué son adversaire sur son manque d'expérience, semble avoir été clairement désavouée par les électeurs démocrates, selon un sondage New York Times/CBS News qui révèle que cette stratégie n'a pas été payante: 47% d'entre eux estiment qu'Obama saura gérer avec sagesse une crise internationale, contre 39% pour Clinton. Ils sont 69% à juger que le sénateur de l'Illinois ferait un bon commandant en chef des armées contre 54% pour la sénatrice de New York. Voilà un peu le contexte juste avant le 20e débat chez les Démocrates, le 3e exclusivement en tête-à-tête entre Hillary Clinton et Barack Obama. Alors, alors, que s'est-il passé exactement durant ce débat de 90 minutes ?
Comme le faisait remarquer un commentateur de la chaîne de télévision MSNBC, reprenant la métaphore d'un match de football américain: un match fermé et serré, avec quelques points aux tirs çà et là mais aucun "touchdown" de part et d'autre, ce qui aurait été nécessaire surtout pour Hillary Clinton. En clair, ce débat ne devrait pas changer grand chose dans la course actuelle entre les deux candidats. Si les deux journalistes ont certainement posé les questions les plus frontales et peut-être même les plus critiques (dans la forme) en trois duels Obama-Clinton, chacun y a répondu avec précision et self-control. Il n'y a pas eu de grands échanges, ni de moments forts, chacun a semblé se concentrer sur ses réponses, s'adressant souvent directement aux deux journalistes. Un peu chacun dans son coin. Le ton n'est jamais vraiment monté (parfois vif, mais toujours courtois) et il n'y a pratiquement eu aucun échange du regard. Mon impression: un duel pour solder des comptes. Hillary Clinton était tout de même visiblement la plus tendue et nerveuse, parfois à la limite de l'exaspération aussi, comme fatiguée, très très légèrement vacillante. A ses côtés, Barack Obama affichait plus de mordant et plus de calme à la fois. Un calme olympien... presque désarmant pour sa rivale. Il avait l'air plus serein, détendu et surtout plus confiant. Oui, on sent que le sénateur de l'Illinois à une totale confiance en lui et en ses électeurs au stade actuel (ou depuis toujours). Voilà, ce qui m'a frappé. Aucune agressivité de sa part, même ses contre-attaques paraissaient feutrées. Un style chaleureux, cool, mais assez classe en même temps. Je serais tenté de parler de... force tranquille! Toujours est-il que ce débat a plus donné lieu à une mise au point et à des justifications sur les attaques fondées ou non de ces derniers jours qu'à un vrai débat dialectique. Même s'ils ont affiché leurs (légères) différences sur l'assurance santé, l'accord de libre-échange nord-américain (ALENA), la politique étrangère et leur style diplomatique ainsi que sur la guerre en Irak, leurs projets démocrates (du parti s'entend) de société, dans leur philosophie politique, se ressemblent quand même beaucoup. En clair: on en apprend plus beaucoup sur leur programme et sur eux-mêmes. Quelques précisions par-ci, quelques détails par-là. Vivement les débats entre McCain et Obama ou Clinton: la dialectique sera certainement plus dynamique sur la forme et surtout sur le fond politique, économique et social, sur les projets politiques et les visions sociétales pour l'avenir.
Le débat est toutefois vite entré dans le vif du sujet, entendez par-là les récentes attaques du camp Clinton à l'encontre du camp Obama, images à l'appui. On revoit ainsi la fin du dernier débat et le "C'est un honneur de concourir aux côtés de Barack Obama", puis on revoit le "Shame on you, Barack Obama" de samedi lors d'un meeting. Pourquoi cette différence de ton?, interroge le journaliste. Hillary contourne un peu la question, ne s'attarde pas sur le changement de ton et répète que les e-mails et tracts électoraux d'Obama sont faux dans leurs critiques du programme de Clinton. Elle exige précision et exactitude factuelles dans ce débat. Elle dément aussi que son équipe est à l'origine de la photo circulant sur internet où l'on voit Obama en costume traditionnel africain. Obama ne revient même pas là-dessus. C'est alors que les deux candidats s'accusent mutuellement de déformer, voire de falsifier les propositions que font l'un et l'autre. Extrait: "Obama ne cesse de dire que j'obligerais les gens à souscrire une assurance maladie qu'ils puissent se le permettre ou non. Ce n'est pas vrai" (Clinton). "Hillary Clinton affirme que mon plan d'assurance maladie laisserait 15 millions de personnes sur le carreau. Je conteste cela. Je pense que ce n'est pas fondé" (Obama). Ce fut le chapitre le plus long du débat (16 minutes) et pourtant, peu de réponse clair sur la manière d'obliger les gens à contracter une assurance-maladie (pour le plan Clinton), à expliquer comment cette couverture universelle ou quasi universelle coûtera ou encore quel sera le niveau des primes d'assurance (pour les deux plans). Chacun critique l'autre puis se défend à son tour et finit toujours par recentrer le débat sur ses atouts: couverture universelle complète et totale (Clinton), accessibilité assurée pour tous ceux qui ont en vraiment besoin et envie (Obama). Hillary se montre la plus agacée par moments, Obama le plus posé, imperturbable.
Sur l'ALENA, un des journalistes semble vouloir faire vaciller Hillary de par son insistance à répéter plusieurs fois la même question - le même reproche -, s'agissant de ses nombreuses déclarations en faveur de cet accord de libre-échange (USA, Canada et Mexique) qui a provoqué de nombreuses délocalisations et de nombreuses pertes d'emploi. La sénatrice se défend: l'accord a été bon pour certains secteurs d'activités et Etats, mauvais pour d'autres, comme dans l'Ohio. Elle dit aussi être prête à réaménager, voir à amender, voire à renégocier partiellement cet accord. Mais pas question de se retirer unilatéralement de cet accord dans les six mois (c'était la question) si elle devenait présidente. Hillary tourne quasiment tout son discours sur ce sujet à l'adresse des électeurs de l'Ohio. Elle est plutôt habile et très convaincante. Obama est accusé d'ambivalence sur ce sujet par les journalistes du débat. Il répond qu'il est pour une renégociation de l'ALENA et n'envisage pas de retrait des Etats-Unis non plus. Et de rappeler qu'il est en quelque sorte le champion anti-délocalisations, avec notamment sa proposition de taxer les entreprises qui délocalisent.
Puis c'est au tour de la politique étrangère et de l'Irak. Approches diplomatiques différentes. Prudence clintonienne versus souplesse obamienne. On dira que la diplomatie plus active et directe proposée par Barack Obama tranche le plus avec l'administration Bush. Clinton fait de nouveau des insinuations sur le manque d'expérience de son rival, qui lui ne se démonte pas. Il semble même avoir peaufiné son argumentaire sur la politique étrangère, évoquant pêle-mêle l'Irak, le Pakistan, le Kosovo et se montrant assez bien documenté, si je puis dire, sur la Russie, à la suite d'une question sur les futures élections russes. Sur ce sujet, c'est Clinton qui doit se coller au récital du nom du successeur de Poutine (Medvedev): elle le connaissait assurément, mais elle a un peu balbutié son nom (Medvevev). Sur l'Irak, Hillary tente de se sortir de son argumentaire inconfortable (elle a voté en 2002 pour la guerre) avec un petit changement tactique, s'adressant à Obama bien sûr: en gros, facile de dire qu'on était pas pour la guerre en 2002 quand on ne faisait même pas partie du Sénat et donc dégagé de ce genre de responsabilité. Et de rappeler que depuis qu'Obama est au Sénat (2004), les deux candidats ont toujours voté pareillement sur la politique étrangère et les troupes américaines engagées en Irak ou en Afghanistan notamment. Hillary tente ainsi de gommer la grande différence entre Obama et elle sur l'entrée en guerre en Irak. Ça ne prend pas vraiment. Obama insiste lui sur le fait qu'il sera plus crédible et convaincant sur ce sujet face à John McCain, étant donné que Clinton a voté comme le sénateur républicain de l'Arizona. Il estime que sa capacité de jugement est supérieur à celle de sa rivale. "Alors que Mme Clinton dit qu'elle sera prête dès le premier jour, les faits ont montré qu'elle était prête à céder à George W. Bush dès le premier jour sur un sujet critique", lance Obama, en référence au vote de 2002. Hillary déclare toutefois que si ce vote était à refaire, elle voterait non, ce qu'elle a parfois déjà dit, mais cette fois-ci cela paraît plus affirmatif et solennel. En revanche, en aucun cas un mea culpa ou une erreur admise accompagnée d'excuses.
Autre question, autre moment symptomatique d'un débat très centré sur les justifications. La question concerne le soutien apporté à Obama par Louis Farrakhan, un dirigeant de l'organisation Nation of Islam (NOI), connu pour ses dérapages antisémites. Se présentant comme "ami d'Israël", le sénateur tient à se démarquer de cet "endorsement", explique qu'il n'avait pas sollicité ce soutien et qu'il le dénonçait. Le sujet paraît en décalage dans un tel débat. Surtout qu'il n'amène aucun candidat à élargir le sujet et à parler par exemple du conflit israélo-palestinien (sujet peu abordé dans ces primaires démocrates). Il n'empêche qu'Hillary Clinton rebondit sur cette question-attaque pour Obama et raconte pour sa part qu'en 2000, au cours de sa campagne pour être élue sénatrice, elle avait reçu le soutien d'un groupe antisémite. "J'ai rejeté ce soutien", rappelle-t-elle non sans fierté. Et d'ajouter que "rejeter était différent de dénoncer". Visiblement agacé que ce sujet prenne subitement autant de place, Obama répond, en gros: "si le mot rejeter semble plus fort pour Mme Clinton que le mot dénoncer, alors je rejette et je dénonce". Le public très silencieux jusqu'ici ou alors inaudible à l'écran télévisé, semble apprécier la réplique d'Obama.
A la fin du débat, c'est cette fois-ci Barack Obama qui vole la vedette du finish à Hillary Clinton (lors du dernier débat, elle avait fini sur une note très humaine et émotionnelle). Ce n'est pas aussi fort et poignant, mais la conclusion se veut conciliante et apaisante. Celui ayant été le plus attaqué ces derniers jours joue la grandeur d'âme et jette même quelques fleurs au passage à sa rivale ("une candidate magnifique"). C'est la fin du débat. Les réactions du public ont été presque inexistantes (ou inaudibles, je me répète). Obama se lève et tient la chaise d'Hillary avec galanterie. Les deux candidats démocrates se serrent furtivement la main.